«Micro» virée canadienne: Ottawa et Toronto

 C’est l’été des escapades surprises. Un ami me propose de l’accompagner visiter deux grandes expositions: Picasso à l’AGO à Toronto et Van Gogh au MBAC à Ottawa. Ce n’est pas tant l’appel de ces grands peintres qui m’incite à accepter l’invitation que l’idée d’avoir – enfin – l’occasion de visiter Toronto. Eh non, jamais de ma vie je n’ai foulé le sol de la «Ville Reine». Vieux motard que jamais, comme dit le dicton. C’est en train que se feront les déplacements, profitant de ce temps d’évasion pour travailler paisiblement à l’ordinateur. Oui, oui. J’ai fait cela pendant trois ans, quand je transitais, chaque deux weekends, entre Ottawa et Québec. La relation de l’époque n’a pas survécu, mais mon amour du train, si.

Dimanche matin, foule à la gare de Montréal, pour le départ. Est-ce les forfaits estivaux ou un cafouillage dans les voitures qui expliquent les longues files d’attente pour chaque départ ou à peu près? Peu importe, à heure presque convenue, le train se met en branle et j’ouvre mon laptop. Direction Ottawa d’abord, visiter un autre ami. Je le rejoins au Musée des Beaux-arts du Canada (MBAC), sa famille y fait la visite de l’exposition Van Gogh. J’en profite pour dîner et placoter avec lui. Nous partons ensuite pour Almonte, là où il a élu domicile depuis quelques années. Je l’ai visité d’ailleurs l’an passé, à pareille date, pendant le festival Muppets Up. Après un bref tour du jardin, parce qu’ils en ont de l’espace pour le jardinage et le potager, nous prenons le soleil sur la terrasse. Plus tard, nous observons un renard roux récupérer ses proies, d’abord un écureuil, puis un lièvre. Quand la chaleur se fait moins intense, je pars faire une petite course dans les environs, en ligne droite, pour ne pas me perdre, d’abord vers l’est en revenant sur mes pas, puis vers le nord, en faisant de même. Je cours jusqu’à la magnifique rivière Mississippi (oui, oui) et y admire ses abords. Quelques personnes, s’y baignent non loin. Je passe devant une très jolie auberge, Menzies House 1850 B&B. L’air sent bon. Ça fait changement de Montréal. La lumière est magnifique à cette heure. Nous soupons d’excellents rôtis de porc et de légumes de saison (betteraves, pommes de terre grelots, haricots verts) cuits au BBQ. Une tarte aux pêches termine le repas… et encore un peu d’alcool, il est vrai.

Lendemain matin, lundi, tout le monde prend congé. Objectif de la journée: farniente. Après un déjeuner sur la terrasse, nous partons faire quelques courses au village et visitant, au passage, quelques boutiques dont un antiquaire. C’est toujours fascinant de voir ce qu’on peut y trouver: petits objets, vaisselles, chapeaux, bouteilles de lait, jouets, grosses malles et quoi encore. Retour à la maison, dîner «léger» des restants de la veille et après-midi indolent dans la piscine. En fait, je le passe sur le matelas gonflable dans la piscine, dont l’eau est tout de même… rafraîchissante. On s’active doucement à l’heure du souper: un incontournable hamburger sur le BBQ. On termine la vaisselle de la veille et je prépare ma valise puisque mon départ de train est à 8h30, il faut donc partir à 7h30.

Mardi matin, en route vers Toronto. J’ai quatre heures de train devant moi, et autant d’heures de concentration pour le travail. De temps en temps, je lève les yeux et je finis pas entrevoir le grand lac Ontario. Mon arrivée sera mémorable, car sous un ciel noir comme la nuit, dû à un orage intense. La gare Union, en réparation, que dire en pleine cure de jeunesse étalée sur 5 ans, coule de partout et je déambule dans les couloirs comme si j’étais à l’extérieur. L’endroit me paraît sale, mal odorant et bruyant. Je me mets à la recherche, urgente, d’une toilette. Les indications sont rares ou peu visibles. Je finis par en trouver une, hors service. Je retourne sur mes pas à la recherche de la station de taxi, je suis les indications et j’arrive à l’extérieur, devant une rue en construction. Des gens patientent, mais aucun taxi ni file d’attente à l’horizon. Je retourne à nouveau sur mes pas et décide de prendre le métro, dont les seules indications sont marquées par l’icône que je ne connais pas, pour me rendre à l’hôtel Marriott Toronto Downtown Eaton Centre. Je dois sortir de la gare pour entrer dans le bâtiment où se trouve la station de métro et, en 5 secondes, je suis trempée. On annonce un ralentissement sur la ligne de métro que je dois prendre. Bon, il n’y a rien qui presse, ni rien de dramatique, mais ça ne me met pas vraiment dans de bonnes dispositions pour avoir une bonne première impression de Toronto, la ville «reine»! À l’heure qu’il est, mon ami P. doit être déjà confortablement installé à l’hôtel… lui!

À mon arrivée, il s’est déjà informé pour changer nos billets de l’exposition, acheté pour le lendemain. On ira aujourd’hui pendant qu’il pleut, rien de mieux! Le chauffeur de taxi, un sud-asiatique, indien ou pakistanais, parle français avec l’accent québécois, . Il a fait ses études secondaires à Parc-Extension. Il semble bien content de rencontrer des Québécois! Aussitôt que nous disons deux mots à Toronto, on nous dit que notre accent en anglais est charmant, mais on nous sert peu en français, finalement!

Le bâtiment de l’Art Gallery of Ontario (AGO), dessiné par Frank Gehry, se démarque dans l’univers de tours droites et ternes du centre-ville. Nous franchissons toutes les étapes afin de parvenir à la salle de l’exposition Picasso: masterpieces from the Musée national Picasso, Paris. L’exposition consiste en fait de 147 pièces conservées par Picasso lui-même. Elles revêtent donc un intérêt particulier pour l’artiste et représentent toutes les époques de sa carrière. Elles sont d’ailleurs organisées par périodes «conjugales», ses femmes ayant été autant de muses pour son art: Fernande Olivier (1904-1912), Olga Khokhlova (1re épouse / 1917-1927), Marie-Thérèse Walter (1927-1936), Dora Maar (1936-1944), Françoise Gilot (1943-1951) et Jacqueline Roque (2e épouse / 1953-1973). Comme on le précise dans le site de l’AGO, l’exposition comprend:

  • The Death of Casagemas, one of the first works he created in Paris in 1901;
  • Autoportrait (Self-Portrait), the iconic 1906 self-portrait;
  • the 1904 Blue-period masterpiece Celestina (The Woman with One-Eye), and The Two Brothers, a 1906 work from his Rose period;
  • landmark African-inspired artwork that led to the advent of Cubism, including studies for the 1907 masterpiece Les Demoiselles d’Avignon and Three Figures Beneath a Tree (photo plus bas), 1907-08;
  • examples of his genre-defining Analytic and Synthetic Cubism artworks, including the 1909-10 Sacré Coeur, 1911’s seminal Man with a Guitar and 1915’s Violin;
  • Two Women Running on the Beach (The Race), a 1922 masterwork from his Neoclassical period, and 1925’s The Kiss, from his Surrealist period;
  • a series of sculptures created during the Second World War, including 1942’s Bull’s Head, and two bronzes, 1943’s Death’s Head and 1950’s The Goat;
  • The Bathers, the 1956 life-sized, six-piece figurative sculpture series created during a summer in Cannes; and
  • The Matador, the famous self-portrait painted in 1970, three years before his death.

J’ai beaucoup aimé cette exposition, surtout les parallèles qu’on y fait entre les influences de la peinture et de la sculpture dans l’oeuvre de Picasso. L’audioguide est intéressant et je viens de découvrir qu’on peut le télécharger sur iTunes gratuitement… (et du même coup que le site de l’AGO avait une section en français… bien cachée!); cependant, les narrateurs choisis sont un peu trop… enthousiastes. De plus, les fiches signalétiques dans les salles sont trop petites et trop basses, on fait la queue pour pouvoir les lire. (À quand le téléchargement des fiches signalétiques? Ce serait vraiment utile de pouvoir les lire sur un iPad tranquillement à distance de la foule, pendant qu’on admire une oeuvre, en retrait.)

Revenons au contenu de l’exposition, on y apprécie également l’influence des muses de Picasso, tel que mentionné précédemment, mais aussi de la sculpture africaine. D’ailleurs, une exposition complémentaire de sculptures africaines ayant appartenu à un collectionneur torontois est particulièrement intéressante. Cependant, bien que l’exposition provienne d’un musée français, le catalogue n’est disponible qu’en anglais. Dommage et frustrant pour un grand musée «canadien». Je ne l’ai pas acheté, pour cette raison. (OK. J’avoue, comme dirait ma belle-soeur, on peut au moins se procurer un Guide de visite en français.) On peut avoir un aperçu des oeuvres exposées ici. Comme on le dit au début de l’exposition, et comme j’ai pu le constater à la lecture de la biographie de Françoise Gilot, Picasso est un artiste de génie, curieux, inventif, travailleur, mais un homme insupportable avec les femmes (de mon point de vue).

En terminant la visite de l’exposition, nous avons pris un léger caffe latte dans la Galleria Italia. Nous avons d’ailleurs poursuivi la découverte de l’architecture contemporaine de Toronto, grâce à un petit livre acheté par P. lors d’une précédente visite: A guidebook to Contemporary Architecture in Toronto (évidemment l’AGO de Frank Gehry y est). Le beau temps étant de retour, nous avons parcouru un des itinéraires proposés, soit celui près de l’Université de Toronto, en admirant des oeuvres telles que le Gardiner Museum, l’édifice Mckinsey & Company, Isabel Bader Theatre, E.J. Pratt Library, Trinity College Quadrangle, Michael Lee-Chin Crystal At The Royal Ontario Museum, etc. National Geographic propose aussi un walking tour, dont une partie recoupe celle qu’on a faite.

Pour souper, nous avons suivi la proposition de mon ami d’Almonte qui va à Toronto de temps en temps par affaire et il me disait aller à chaque fois au Café La Gaffe (24, Baldwin St.). Située à distance de marche de notre hôtel, la rue Balwin est charmante et à grandeur humaine, comparativement à tout ce que j’ai vu de Toronto jusqu’à maintenant. Bordée d’arbres, de restaurants et de terrasses, nous marchons un peu sur la rue avant de trouver le minuscule, mais non moins sympathique, Café La Gaffe. L’air est un peu lourd, on ne sait pas s’il va encore pleuvoir, mais il fait une telle chaleur à l’intérieur qu’on opte pour la terrasse. Fait rare, j’arrête mon choix sur les pâtes aux fruits de mer, et je ne le regretterai pas: elles sont généreuses et savoureuses. P. penche pour une pizza au fromage de chèvre, dont la pâte est, disons, «grano», faite probablement de farine de blé entier, donc plus dure, mais aussi savoureuse. On prend une bouteille de Mirassou, un pinot noir californien, qui s’avère un peu trop tempéré; on nous apportera un bac à glace pour le rafraîchir, ce qui en améliorera la fraîcheur, dans tous les sens du terme. Nous passerons une agréable soirée, à l’abri de toute intempérie.

Mercredi matin, après le typique gargantuesque brunch d’hôtel, nous prenons le cap du St. Lawrence Market, à ma demande. À mon grand étonnement, j’avais appris récemment que le National Geographic plaçait ce marché en 1re position au monde (alors que le marché de Santiago, beaucoup plus pittoresque pour moi, est au 5e rang), peut-être dû au fait qu’il est en opération depuis 1803. (Je viens de découvrir que Food and wine le classe 5e dans le Top 25 au monde). Une cinquantaine de kiosques sont regroupés à l’intérieur d’une grande structure de verre et de métal. Cependant, j’ai moins l’impression de me retrouver dans un marché de produits locaux que dans des halles de petits commerces spécialisés en délicatesses de toutes origines. Pourtant, au gré de la déambulation, je constate que plusieurs boucheries présentes reflètent sûrement le caractère traditionnel du marché, certains proposant des viandes de la région. Puis, on découvre un kiosque de vins ontariens et un autre de fromage québécois et canadiens. Je suis surprise de constater que tous les fromages qui ne sont pas du Québec sont catégorisés canadiens. Je m’attendais à ce que les fromages de l’Ontario soient au moins spécifiquement identifiés. Puis, je me suis dit que peut-être la tradition du fromage est moins développée dans le ROC (rest of Canada, comme on dit au Québec). Un reportage de Catherine-Lune Rollet entendu à la radio vendredi passé a presque confirmé mon hypothèse: elle a rencontré un producteur de fromage au marché des fermiers à Régina qui disait être le seul de sa province. Bref, ce ne fut pas le grand ébahissement, mais quand même une visite agréable qui a valu le détour. Je comprends maintenant que le samedi, d’autres producteurs viennent vendre le fruit de leur labeur au Farmers’s market de 5h à 15h au St. Lawrence Market North. Le dimanche, un Antique Market y prend place, de 5h à 17h.

Par la suite, on suit un autre itinéraire du guide d’architecture contemporaine, celui du bord du lac. Ce sont alors davantage des places publiques que nous pouvons découvrir, certaines offrant de l’ombre, ce qui n’est pas un luxe par cette journée chaude et humide. Ainsi, nous avons parcouru tout le waterfront de l’est à l’ouest, en passant par: The Waterfront, Central Waterfront Master Plan, Spadina, Rees And Simcoe Wavedecks, HT0 Park, Toronto Music Garden (probablement notre coup de coeur, sans prétention). À ce sujet, Montréal a vraiment à apprendre de Toronto qui a pris le parti, comme Québec, de redonner à ses résidents (et visiteurs!) l’accès à l’eau… tout en valorisant les projets d’architecture contemporaine de qualité.

Pour un intéressant aperçu avant/après:

Rendus presque en face du Billy Bishop Toronto City Airport (aka Toronto Island Airport), nous avons remonté Bathurst St., beaucoup moins bucolique, chargée de circulation, de pollution et de bruit. En passant sur le viaduc, au-dessus du chemin de fer, nous avons aperçu, vers l’ouest le site historique de Fort York, site de la fondation de Toronto (York) en 1793. Presque en face, côté est, nous avons passé devant le Amsterdam Brewing, la première brasserie artisanale de Toronto ouverte en 1986 par un Néerlandais d’origine, Roel Bramer. Direction King St., pour deux destinations recommandées par mon ami d’Almonte, TIFF Bell Lightbox (photo), où se déroule début septembre le festival du film de Toronto (TIFF),  et le magasin de meubles Design within reach. En route, on se trouve un charmant petit restaurant, avec une micro-terrasse, pas trop bruyante même si située sur King St., Paese Ristorante. J’avais été attirée par une salade inscrite à l’ardoise placée sur le trottoir, malheureusement elle n’était plus disponible. Je me suis rabattue sur un panini au poulet grillé et, moi qui ne suis pas trop fan de sandwich, l’ai trouvé très bon, goûteux, bien grillé, accompagné d’un vin blanc italien, Falerio Pecorino, recommandé par la serveuse. Deux doubles espressi pour terminer le repas en beauté. On s’achemine lentement, mais pas trop, vers l’hôtel pour prendre le train à heure confortable… mais disons que la zone de confort diverge entre P. et moi… On en rigole. Arrivés très à l’avance, je finis par devoir faire, au moment de monter à bord du train, un sprint jusqu’au comptoir d’achat de Via, puisqu’il manque une partie à mon billet. Confortablement installé dans le wagon, P. n’est pas peu fier de la situation. De mon côté, je me dis qu’il faut bien un peu de piquant dans ce déroulement un peu trop prévisible! Malgré ce qu’en disait le commis, j’ai pu faire le voyage avec mon billet «incomplet». Je reconnais que le service à la clientèle Via est très souple. Somme toute, cette courte escapade à Toronto a été fort agréable, malgré mon arrivée un peu chaotique. J’ai bien le goût d’y retourner et de visiter, la prochaine fois, le Distillery District. C’était donc la première, et non la dernière fois, que je visitais la ville reine (pourtant, je n’y ai pas vu la Reine et je n’en suis pas vraiment attristée).

Après quatre heures de train, nous arrivons à la gare d’Ottawa, où j’ai, cette fois, mes repères. P. la trouve particulièrement lumineuse et, à la faveur de ce billet, j’apprends qu’elle est un joyau moderniste d’Ottawa, bâti en 1966 par les architectes John B. Parkin et NORR Limited. Sur le site d’Architecture Canada, on souligne :

« la pureté du design de la période moderniste de l’après-guerre. La gare a été maintes fois primée et a notamment reçu le Landmark Award de 2007 de l’OAA reconnaissant qu’il s’agit de l’un des bâtiments les plus importants de l’Ontario sur le plan de l’architecture».

Malheureusement, le choix de l’emplacement à l’époque est un peu excentré par rapport au centre-ville, contrairement à Toronto et Montréal, ou à l’ancienne gare d’Ottawa. Elle est littéralement au milieu de nulle part, près de l’autoroute 417. Par chance, le système de transport de la ville (OC Transpo), vers le centre-ville par l’autobus 95, est très efficace, rapide et fréquent. Nous descendons à deux coins de rue de l’hôtel Lord Elgin (@ Bank/Metcalfe St.), après avoir passé devant l’Université d’Ottawa, le centre d’achat Rideau, l’hôtel Château Laurier et le monument commémoratif de guerre du Canada. Comme il est presque 21h, on dépose rapidement nos bagages et on se dirige vers le marché By, un collègue de P. avait recommandé un restaurant, le Black Tomato (site officiel non disponible, consulter la critique du Voir). Je me souvenais y avoir été pendant mon séjour de 3 ans à Ottawa,  y avoir bien mangé, mais que le service avait été particulièrement long. Je ne me souvenais pas, en revanche, qu’il jouxte une magnifique cour intérieure, où on s’est installé, à la fraîcheur du soir et au son d’un duo de jazz. J’y ai dégusté un délicieux flétan, accompagné d’un vin blanc. Afin de digérer le tout avant d’aller se coucher, nous avons déambulé autour du marché, sur Byward Market Square, passant devant le kiosque qui vend les fameuses Beaver Tails, auxquelles P. a failli succomber. Nous avons emprunté William St., où se situe un sympathique pub Aulde Dubliner et Pure, un comptoir de gelato. Demain matin, Van Gogh nous attend, nous rentrons donc à l’hôtel, repus et contents.

Jeudi matin, après un autre faste brunch d’hôtel, nous prenons le chemin du Musée des beaux-arts du Canada, rue Sussex. Je croyais que 10h30 serait une heure pas trop achalandée, je me trompais. C’est un choc quand on entre dans la 1re salle, puis après, on trouve son espace et son rythme. Comme j’ai visité le Musée Van Gogh à Amsterdam l’été passé, je ne m’attendais pas à être époustouflée, les plus grandes oeuvres, je les avais vues… D’autant plus que les membres de la famille de mon ami d’Almonte avaient fait la visite en un temps record de 40 minutes! Eh bien, sans m’époustoufler, l’exposition Van Gogh: de près a su capter mon intérêt, voire le raviver.  Centrées sur les 4 dernières années de sa vie de Paris au sud de la France (Arles, St-Rémi et Auvers-sur-Oise), les 47 oeuvres de Van Gogh présentées sont organisées par thématique dans chacune des salles: 1. introduction, 2. nature morte: nouveau regard, 3. composer avec la nature, 4. estampes japonaises, 5. structurer le paysage, 6. photographies du 19e siècle, 7. touche vive, 8. dessins et estampes d’avant van Gogh, 9. Studio Van Gogh et 10. nature en toute intimité. Le thème général est la nature et la représentation de ses détails (d’où le sous-titre: de près), de même que les perspectives inusitées qui orientent le regard vers ces petits détails qui composent notre environnement. Évidemment, c’est pour me plaire! Les tableaux et les fiches signalétiques, ainsi que le texte d’introduction dans chaque salle permettent de comprendre pourquoi on fait tout un plat avec les oeuvres cet artiste, au-delà de la surenchère de la valeur de ses toiles (que je soupçonne orchestrée par la succession bien avisée de l’artiste*, du moins, c’est l’impression que m’avait laissée ma visite au Musée d’Amsterdam, dont le site, soit dit en passant est disponible en 6 langues… MBAC, deux langues, AGO, en une langue,). Tout comme Picasso a été influencé par une exposition de sculptures africaines ayant eu lieu à Paris, Van Gogh, à l’instar de ses contemporains impressionnistes, a été inspiré par une tradition artistique étrangère et devenue en vogue à partir de la 2e moitié du 19e siècle en Europe, soit les estampes japonaises qui sont «découvertes» du fait de l‘ouverture du Japon au commerce extérieur.

Les estampes japonaises fascinent particulièrement les impressionnistes et leurs contemporains. Par leurs couleurs vives et unies, leur thème exotique et l’utilisation audacieuse de la perspective, elles offrent un style très différent de celui de l’art occidental. […]

L’esthétique peu conventionnelle des estampes japonaises – haute ligne d’horizon, perspective inclinée, mise en évidence d’un élément particulier de la nature, par exemple, une branche ou un tronc d’arbre – aura une grande influence sur la façon dont Van Gogh compose ses vues de près. Van Gogh trouve aussi dans l’art japonais une signification plus profonde. Il vante la vertu de l’artiste japonais, capable de se concentrer sur l’infinie beauté de l’essentiel, la beauté même d’un brin d’herbe.

Site de l’exposition Van Gogh: de près

C’est donc dire qu’un génie ne naît pas génie et ne le devient pas seul, il puise son inspiration chez les autres qu’il côtoie et est influencé par les «découvertes» de son époque, par l’esprit du temps, par les avancées technologiques (comme ici, la photographie). Ça me fascine toujours autant d’en prendre conscience et de réfléchir à la réciproque: l’esprit du temps, la science, les technologies sont aussi influencés par la créativité des artistes.

« quand le Japon s’ouvre à l’Occident le nombre d’oeuvres d’art japonais qui affluent à Paris ne sont pas plus nombreux que ceux qui arrivent à Londres, Amsterdam, La Haye et Leiden. Et pourtant c’est à Paris que fleurit d’abord ce que l’on a appelé le Japonisme. Et c’est de Paris qu’il s’étend vers les autres centres culturels européens. Paris est largement à l’avant-garde du mouvement. La raison? C’est que c’est à Paris que l’on est le plus sensible dans les années 1860 aux problèmes qui se posent alors au monde artistique: comment briser les principes qui dominent l’expression traditionnelle de la peinture depuis l’époque de la Renaissance; comment donner naissance à une nouvelle forme d’art ».

Jean-Claure Trutt, Voyage autour de ma Bibliothèque

Bon, il y aurait encore tant d’autres choses à dire de cette exposition et à explorer à sa suite, mais si je veux que ce billet ait une fin, il me faut abréger. Encore deux choses, la première, j’ai trouvé une vidéo intéressante sur les dessous de l’exposition, une entrevue avec la designer de salles, Ellen Treciokas, qui évoque, du même coup, la conception du Musée, qui a été inauguré en 1988, par l’architecte Moshe Safdie (on peut voir des photos ici et une vidéo ).

La deuxième chose à mentionner est le Studio Van Gogh, une salle d’activités pour les jeunes et les moins jeunes. Beaucoup de livres sur Van Gogh sont à consulter là, pour les enfants et les adultes. Deux activités majeures s’y déroulent. Au centre de la pièce, un gros vase à fleurs, entouré de quatre bancs et un iPad où les enfants peuvent s’inspirer du style de Van Gogh et réaliser une nature morte à l’aide de l’application Art Rage. Une planche explicative invite aussi l’artiste en herbe à comprendre l’utilisation variée de la couleur chez Van Gogh. De retour à la maison, j’ai téléchargé l’application au prix modique de 3$ qui s’avère tout à la fois simple et complexe à utiliser. Je donne humblement un aperçu de ce qu’il est possible de produire, une «oeuvre» inspirée de celle de Van Gogh intitulée Coings, en une soirée d’exploration sans aucune notion de peinture. C’est vraiment amusant et absorbant. Une autre activité au Studio invite les visiteurs à écrire une lettre à Vincent, en suivant les traces de l’artiste qui a entretenu une riche correspondance, notamment avec son frère Théo. On peut lire des extraits des lettres des visiteurs ici. Pour poursuivre l’expérience, à la boutique du Musée, j’ai fait l’acquisition de quelques livres et petites reproductions, que je mentionne ici. Finalement, P. et moi avons certainement pris deux bonnes heures (notre limite habituelle) pour faire le tour de cette exposition.

Mon ami d’Almonte m’avait chaudement recommandé la visite de deux autres installations: The Clock de l’artiste étasunien Christian Marclay, une époustouflante installation vidéo qui pose une réflexion sur l’omniprésence de la division du temps dans notre existence grâce à un savant montage de films de fiction en tous genres: une vidéo ludique et fascinante par sa minutie. La vidéo dure 24 heures et se passe en temps réel: quand un personnage dit qu’il est 12h30 ou qu’il est 12h51 quand il regarde l’horloge, il est «vraiment» cette heure pour le visiteur de l’exposition. Nous y avons passé au moins une demi-heure et y serions restés plus longtemps si ce n’avait été d’un appel alimentaire. Deux reportages de la BBC donnent un bon aperçu de l’oeuvre et de la démarche de l’artiste, ainsi que cet extrait de 16h29 à 16h33. La deuxième installation se trouve dans la magnifique chapelle et s’intitule Motet à 40 voix, de Janet Cardiff, artiste canadienne. Il s’agit, cette fois, d’une installation sonore qui consiste en l’enregistrement sur 40 pistes d’un choeur qui chante Spem in alium, un motet à 40 voix indépendantes composé par Thomas Tallis, quelque part au 16e siècle en Angleterre, et considéré comme un chef-d’oeuvre de composition contrapunctique. L’artiste nous fait vivre une expérience intime en donnant accès à chacune de ces voix en déambulant dans la salle, auprès de chacun des 40 hauts-parleurs placés à «hauteur d’oreilles». Si l’oeuvre musicale est en soi grandiose, entendre ces voix singulières montre la diversité de la voix humaine et surtout la force et la richesse de leur mise en commun. Des frissons d’émotions m’ont rappelé mes samedis matins de jeune adolescente passés aux pratiques de la chorale. Expérience spirituelle, de communion humaine, de vibrations et d’énergie pure et simple. Dans Wikipedia, on explique que Tallis, contrairement à un autre compositeur de motet italien fait entrer les voix à tour de rôle de 1 à 40 puis de 40 à 1… Un aperçu sonore (et complet) ici. Envoûtant. Installez-vous dans un confortable fauteuil à l’abri de toute distraction avant de démarrer l’enregistrement (10:25); encore mieux, mettez des écouteurs, fermez les yeux et abandonnez-vous…

Finalement, mon ami d’Almonte m’avait aussi parlé de l’exposition de l’artiste canadien Arnaud Maggs, Identification, sans trop insister. Comme la salle est située à la sortie de l’exposition de Van Gogh, c’était tentant d’aller y jeter tout de même un coup d’oeil, malheureusement rapide. Un peu en écho aux deux autres installations, l’artiste nous propose une réflexion sur la nature humaine et sa diversité, mais aussi sur les artefacts de notre vie quotidienne. Il s’agit d’installations photographiques, composées de plusieurs pièces : portraits de face et de profil, photographies de carnets de rendez-vous d’un photographe ou de marques du temps sur des livres, des extraits de ses scrapbooks, etc.

Par ses photographies, il nous offre la possibilité de poser un regard neuf sur ce qui nous entoure et de découvrir, dans l’ordinaire, une étonnante beauté […].

Toutes ces œuvres racontent quelque chose sur les gens, les lieux et les expériences de vie qui l’ont marqué. On peut les voir comme autant de portraits de l’artiste.

Site du MBAC

On a aussi rapidement été entendre un concert de chant et passer en courant d’air dans les salles d’art contemporain. Trop rapidement. Notre visite a été exceptionnellement riche… mais la faim nous appelle.

Pour dîner, nous trouvons, non loin du Musée, le Black Thorn, charmant pub avec terrasse sur la rue Clarenton. Je prends la salade de betteraves rôties qui s’annonce vraiment réjouissante, mais qui s’avère décevante en goût et en quantité, pour ce qu’elle promettait sur papier (roasted beets, vanilla-poached pears, spicy pecans and spinach tossed with house-made balsamic vinaigrette and topped with feta cheese). P. partage donc avec moi le quart de son hamburger Angus. Une bonne bière locale, Mill Street, une lager biologique de l’Ontario, vraiment fraîche et désaltérante, pour aider à avaler le tout (nourriture et facture)!

Par la suite, à la demande de P., on fait un tour sur la colline parlementaire, puis je l’amène en pèlerinage, sur les traces de mon quotidien «hot-tawaïen», comme je me plaisais à dire: désignation, au loin, de la bibliothèque municipale rue Metcalfe (surtout pas pour y admirer son architecture brutaliste), marche le long du canal Rideau jusqu’au pont piétonnier près de mon ancien chez moi où semblent vouloir s’installer des cafés terrasses, déambulation sur la rue Elgin, rebaptisée Sens Mile quand les Senators font les play-offs (en 2007, photo), arrêt chez Pure, marchant de gelato, soupirs en passant devant le Lieutenant’s Pump, repère de mon équipe de volleyball où nous prenions tous les jeudis après le match, bière(s) et nachos, puis détour vers le pub Manx, mon favori, petit, chaleureux, sympathique et, surtout, vaguement secret, bien que généralement bondé. La rue a peu changé, hormis le restaurant Big Daddy’s Crab Shack, qui a disparu et où on servait de la cuisine louisianaise; j’y avais mangé un savoureux poisson et mon frère, un tataki de thon, dont il me parle encore.

Notre escapade ontarienne tire à sa fin (ainsi que l’écriture de ce billet, enfin!). P. reprend bientôt son avion et il veut arriver à l’avance. Pour ma part, comme je pars un peu plus tard, j’irai faire un tour au Centre Rideau, question de me rafraîchir un peu de cette journée bien remplie, chaude et collante, avant de reprendre le train de 20h. Ce fut une virée mémorable, que je compte bien renouveler! Bien qu’en apparence un ersatz de nos deux précédentes escapades estivales de deux semaines dans des capitales culturelles (Barcelone et Amsterdam) où nous avons arpenté de nombreux musées, ces deux visites nous ont procuré un égal plaisir. C’est pour dire: il vaut la peine de faire le touriste en son pays!

À voir:

* MàJ. Vendredi 17 août 2012 (plus tard).  Sur la gestion de la succession, autrement dit la «marque de commerce», des grands artistes, un article paru dans Le Devoir d’aujourd’hui à propos des héritiers de Picasso… tiens, tiens… Nom et profession: Picasso.

«Que faites-vous dans la vie? Je suis Claude Picasso.»

«L’inventaire de ce qu’il laisse dans ses ateliers est vertigineux […] Trente pourcent ont été retranchés du gâteau en oeuvre d’art, afin de payer les droits de succession – ces oeuvres ont permis de créer le Musée Picasso de Paris. L’État a eu le premier choix, mais ce qui restait aux héritiers est énorme.»

«Olivier Widmaier Picasso […]: “Je suis le premier de la famille à avoir fait des études et à avoir un métier qui n’a rien à voir avec Picasso”.»

«Les héritiers ont un autre point commun, que résume Claude:  “Je vends une oeuvre de temps à autre pour avoir plus de confort”.»

«Le premier pouvoir de Claude [le gestionnaire de la succession] est de délivrer des certificats d’authenticité aux oeuvres qui sont présentées à Picasso Administration. […] [Il en] délivre une petite centaine par an».

N’a-t-on pas appris d’ailleurs, plus tôt cette semaine, qu’un musée de l’Indiana venait de «découvrir» qu’une oeuvre qu’il avait en sa possession était bien de Picasso?

Re tiens, tiens…

«Sinon, le grand boulot de PA consiste à gérer les droits d’auteur. Dès qu’une oeuvre apparaît dans un livre, un manuel scolaire, un catalogue d’exposition, une affiche, une carte postale, un journal, un film ou sur un objet dans le commerce, la société doit donner son accord. Veiller à ce que la reproduction soit de qualité. Enfin, se faire rémunérer.

Le casse-tête de PA vient des milliers d’entreprises qui utilisent Picasso sans lui demander son avis.»

«Que répond Claude à ceux qui l’accusent de faire du profit sur un bien qu’il n’a pas créé? “C’est idiot de raisonner ainsi. Oui, j’en profite, mais moi, je défends l’oeuvre. Je travaille”.»

«Picasso est “l’artiste qui suscite le plus d’engouement auprès du public, devant Van Gogh et Léonard de Vinci”. […] Picasso était un nom propre, c’est devenu un nom commun.»

En passant, je ne fais aucun profit avec mon blogue et si j’utilise des reproductions provenant d’Internet, ce sont celles des musées ou organismes officiels qui rendent déjà publiques ces reproductions.

Ce qui m’inspire le plus chez Picasso, ce ne sont pas ses oeuvres, ou même l’idée d’en «posséder» une, mais bien sa démarche artistique, basée sur une connaissance de l’histoire de l’art, de l’observation aiguisée de son environnement, de la maîtrise et l’exploration continuelle de nouveaux medias, de l’incessant besoin d’aller voir ailleurs… Enfin, ce qui «compte» vraiment pour moi, c’est l’héritage qu’il laisse à tous en termes de pensée artistique.

A propos Curieuse d'idées

À sa naissance, elle entre dans le monde de la curiosité. Elle n'est pas à la veille d'en sortir!
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4 commentaires pour «Micro» virée canadienne: Ottawa et Toronto

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  2. Ping : Un émouvant dimanche après-midi au Guggenheim: Rineke Dijkstra | Curieuse d'idées

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