S’il y a un mystère de la fin absolue qu’est la mort, il y a aussi un mystère des commencements.
Gaston Miron: la vie d’un homme, p. 722
Gaston Miron a connu un regain de popularité ces dernières années. D’abord, par la voix de Chloé Sainte-Marie qui l’a chanté. Douze hommes l’ont suivie, deux fois plutôt qu’une: Douze hommes rapaillés 1 et 2. Puis un documentaire sur la création de ces disques: Rapailler l’homme. Je crois que c’est suite à ce documentaire que j’avais acheté en septembre dernier le livre original, L’homme rapaillé, édition Typo de 1998 (parce qu’il y en a eu plusieurs). Il trône sur ma table de chevet depuis. Des images, des paysages, des sonorités, des racines à la cime.
tu es mon amour ma clameur mon bramement tu es mon amour ma ceinture fléchée d’univers ma danse carrée des quatre coins d’horizon le rouet des écheveaux de mon espoir tu es ma réconciliation batailleuseextrait de La marche à l’amour dans L’homme rapaillé, p. 61
Des films lui ont été consacré dernièrement. Le magnifique Marche à l’amour et Miron: un homme revenu d’en dehors du monde (qui sera projeté cet été dans les parcs de Montréal, voir l’Agenda culturel du mois). Ensuite, je suis allée me procurer la bible Miron, la biographie de l’homme écrite par Pierre Nepveu: Gaston Miron: la vie d’un homme.
Évidemment, la biographie de Miron relate la vie de l’homme, comme l’indique le titre, non seulement le poète, non seulement l’artiste engagé, mais aussi l’homme avec (ou sans) vie sentimentale, ses problèmes de santé, ses hésitations, contradictions, incertitudes.
Il est sûr que je baragouine la langue comme je baragouine la vie – ma vie.
Gaston Miron: la vie d’un homme, p. 302
Elle fait évidemment grande place à sa poésie, ses commencements, ses obsessions, son évolution. Miron était un maniaque du métier, comme dans «cent fois sur le métier remettez votre ouvrage» et on a accès à cette démarche de labeur et de minutie dans son écriture. Un accès privilégié à son processus d’écriture.
Depuis Saint-Agricole dans une de ses premières versions:
Aux carrefours avancés de ma rencontre des hommes le coeur serré comme les vieilles maisons d’Europe avec les maigres mots frileux de mes héritages dans la pauvreté natale de ma pensée ma vie ahane comme un cheval de traità la peine et l’oreille dressée à saisir le réel
«Ma pensée rocheuse», va-t-il préciser un peu plus tard, pour mieux fusionner avec la terre laurentienne de ses ancêtres maternels [… ].
Gaston Miron: la vie d’un homme, p. 330
Toutefois, et c’est là la révélation, cet ouvrage de Pierre Nepveu peut être considéré comme un livre d’histoire sociale du Québec des années 1930 à presque 2000, du Québec rural au Québec contemporain, des paysans, aux artisans, aux employés, aux artistes, aux intellectuels. L’histoire politique aussi, notamment la question de l’indépendance du Québec, et ses rapports de complicité ou de distanciation avec la France. On y présente aussi les points de vue opposés sur les questions de l’identité nationale, d’ici ou d’ailleurs.
L’identité, c’est d’abord une interrogation.
Propos de Jacques Berne notés par Miron
La valorisation de l’identité doit être fortement relativisée, [… ] la revendication des origines, du commencement et d’une «genèse» collective entraîne toujours l’exclusion de l’autre
Propos d’Édouard Glissant, ami de Miron
Chaque événement, chaque époque, chaque enjeu est remis dans son contexte, et le tout écrit tout aussi finement que la langue mironnienne elle-même, sans être austère ni pompeux, bien qu’étant solidement appuyé sur une recherche documentaire impressionnante et surtout sur les archives personnelles du poète (Nepveu est professeur à l’Université de Montréal et a bénéficié de subventions de recherche pour mener à bien le projet). La question de la langue traverse le livre puisqu’elle a traversé la vie de Miron. Toujours d’actualité.
Peut-être un grand malheur, en tout cas la plus triste chose, c’est de douter du langage. C’est alors tomber dans la méfiance et perdre l’espoir de se dire et de trouver du sens – perte d’identité, manque de réalité et, à l’échelle d’une société, constat d’une désintégration, d’un effondrement – atomisation, règle sauvage. […] Lorsque […] les mots sont à la triche un peu partout. Comment alors ressentir et signifier personnellement les choses et le surgissement de l’être en nous, depuis le réel sensible jusque dans le monde humain?
Gaston Miron: la vie d’un homme, p. 706-707
C’est ce à quoi s’est attaché Miron, dire le réel sensible et le surgissement de l’être, dans sa terre laurentienne, au Québec, en France ou ailleurs où il y a mis les pieds:
Aussitôt débarqué à São Paulo [… ], Miron consigne dans son carnet les mots de la végétation nouvelle qui l’entoure: les «ipê» et les «jacaranda» aux fleurs bleu-violet, les «guapuruvu» à fleurs jaunes.
Gaston Miron: la vie d’un homme, p. 754
Je recommande chaudement l’ouvrage à tous les Québécois de souche, de racines, de branches, de feuillage ou de ramage. Un livre qui se lit comme un roman, car la vie de Miron, et l’histoire du Québec, est pleine de rebondissements (et parfois aussi d’enlisements). Aux jeunes, aux vieux, d’ici et d’ailleurs. Lisez ce livre. Je l’ai tant annoté, je ne peux réécrire ici tous les passages importants, inspirants, à relire, à méditer.
Ce livre donne envie d’en lire bien d’autres: la biographie de Fernand Dumont, Récit d’une émigration, les anthologies produites par Miron et des collaborateurs, Écrivains contemporains du Québec, Les grands poèmes de la poésie québécoise, Alfred Desrochers, À l’ombre de L’Orford, Hubert Aquin, Prochain épisode… mais surtout de se replonger dans L’homme rapaillé.
TÊTE DE CABOCHE
Une idée ça vrille et pousse l’idée du champ dans l’épi de blé au coeur des feuilles l’idée de l’arbre qui va faire une forêt et même, même forcené, l’idée du chiendent c’est dans l’homme tenu sa tourmente aiguisée sa brave folie grimpante non, ça n’déracine pas ça fait à sa tête de travers cette idée-là, bizarre! qu’on a tête de caboche, ô libertéextrait de L’homme rapaillé, p. 98
Salut Curieuses! Ca fait un bout que je ne suis pas allee sur ton blog; je me rattrape.
Juste une petite pensee sur Gaston Miron: L’homme rapaille est l’un des premiers livres que j’ai achete lorsque je suis arrivee au Qc (en tant que Quebecoise de Ramage/Plumage!). Sa superbe langue et ses images m’ont conquise immediatement…
Tu as eu du flair! Quelle belle introduction sensible au Québec!